Chirac : l’adieu à l’Elysée
Finalement, il s’est est allé. Jacques Chirac, cinquième président de la Vè République française, quitte l’Elysée. Une page se tourne. Des années durant, j’ai rêvé de ce jour où ce président français symbolisant jusqu’à la caricature la Françafrique la plus rancie quitterait le pouvoir. Ayant vécu – et combattu par la plume – en Côte d’Ivoire pendant toutes ces années où le locataire de l’Elysée tenait à chasser l’impudent du Palais du Plateau d’Abidjan, par l’intermédiaire d’une rébellion instrumentalisée ou directement, à travers la force Licorne, j’ai plusieurs fois rêvé de ce jour où il s’en irait. Je me disais que la double image d’un Jacques Chirac voyant les grilles de l’Elysée se refermer derrière lui, et d’un Laurent Gbagbo toujours «en place» à Abidjan, réveillerait des consciences africaines désormais instruites d’une réalité : le «fétiche» du pouvoir dans nos pays respectifs ne se trouve plus à Paris, nous pouvons résister au néocolonialisme et le mettre en crise. J’espère toujours que cette image confortera les «fous» qui osent rêver d’une Afrique souveraine, décidant au nom de ses propres considérations de ce qui est bon pour elle. Mais je ne ressens pas l’exaltation que je prévoyais quand, en novembre 2004, au cœur de la terreur suscitée par une armée française se comportant en force d’occupation à Abidjan, j’imaginais le «jour glorieux» où le chef de l’Etat français s’en irait sans avoir réussi à faire la peau au président ivoirien. Il suffit juste d’observer les réflexes d’une bonne partie de la classe politique ivoirienne – déjà à genoux aux pieds de Nicolas Sarkozy, l’appelant au secours – pour se dire que la «révolution du regard» que j’espérais ne sera pas automatique. En prenant un peu de hauteur, en voyant aujourd’hui Guillaume Soro et Laurent Gbagbo faire la paix des braves et s’épauler face aux coups de boutoir du RHDP – énième jeu d’alliances de l’après-Houphouët –, on considère également la vanité de nos combats du passé et des postures que nous avons pu adopter. Jacques Chirac s’en va… Il a fait du mal à la Côte d’Ivoire et à l’Afrique, les historiens le démontreront. And so what ? Notre meilleure revanche, en tant que société, sur ceux qui nous ont avili, serait de tirer les leçons du passé et d’accoucher d’une nouvelle ère, et non de perpétuer des haines et des clivages qui finalement subsisteront quand nous aurons oublié quand et comment ils se sont forgés. Que ferons-nous de la victoire symbolique que nous avons remportée ? Y aura-t-il des veilleurs de l’aube désintéressés qui travailleront à l’affranchissement économique et culturel du paysan, du jeune citadin harcelé par la pauvreté dans les bidonvilles, de la femme… de l’individu, du citoyen ? Le matin de la liberté est déjà là. Irons-nous remettre la clé des soleils des nouvelles indépendances à une nouvelle oligarchie ou nous transformerons-nous, par la force de notre pensée, en écrivains d’une renaissance qui bousculera les rentiers de toutes obédiences ? Au fond, Jacques Chirac n’est pas important. Ce qui est capital, c’est de créer, au-dessus des tombes de ceux qui sont morts pour qu’il n’ait pas raison de nos institutions, une société libre et de liberté, selon le bon mot du président Gbagbo – qui devra s’en souvenir. Jacques Chirac est parti. Laurent Gbagbo est là. Il n’a plus de bourreau, et il n’a plus d’excuses. Nous n’avons plus de bourreau, nous n’avons plus d’excuses. Une brise souffle sur nos certitudes.