L'Afrique enchaînée
Grosse fatigue ! Entre un voyage
éclair au Ghana, la préparation d’un voyage en Inde et d’autres choses,
je n’ai plus tellement de temps pour mon blog et pour mon village.
Sacrilège ! Si
j’avais eu plus de temps, je vous parlerais en profondeur de ce que je
décrypte comme une vague de «thinkers» africains anglophones tels que Georges Ayittey,
qui était un des orateurs des rencontres TED GLOBAL en Tanzanie, dont a
parlé un des villageois de ce blog. Georges Ayittey, dans son livre Africa Unchained
et dans ses conférences, explique la pauvreté globale dans laquelle
l’Afrique est engluée par un facteur central : l’absence de liberté
individuelle. Les Africains, estime Ayittey, n’ont pas été capables de
prospérer durant le XXè siècle parce que leur liberté leur a été
arrachée. D’abord par les colonisateurs puis par des dirigeants
illégitimes et autocrates. Pour Ayittey, la libération de l’Afrique
passe par l’établissement d’institutions médiatiques, judiciaires et
financières indépendantes du pouvoir politique, dont l’objectif sera de
le contrôler. Ayittey, en libéral qui s’assume, plaide pour des marchés
ouverts en Afrique. Mais le marché, selon Ayittey, devra être à l’image
des marchés traditionnels africains, ouverts à tous et où chacun peut
proposer ce qu’il a. Ayittey pense que le développement de l’Afrique
est d’abord l’affaire des Africains. Il croit plus au potentiel des
pêcheurs ghanéens que d’un secteur formel aujourd’hui complètement
corrompu et biaisé. Ayittey oppose deux générations : la «Cheetah
generation», composée d’Africains dynamiques qui refusent la
corruption, et qui réclament la démocratie et la transparence - qui est
selon lui celle qui sauvera l’Afrique ; et la «Hippo generation», dont
font partie les dirigeants actuels de l’Afrique, qui se plaint de
l’impérialisme et du colonialisme mais qui refuse les réformes de fond,
parce que le statu quo les arrange. Ayittey n’aime pas Mugabe et n’aimait pas Rawlings.
On le sent agacé par le discours du progressisme africain classique.
C’est un peu troublant pour des Africains francophones justement aux
prises avec le retour violent d’un impérialisme clair et farouche. Mais
c’est une question de vécu. Les trajectoires des différents pays durant
la guerre froide, soumis à des dictateurs progressistes (comme Kwame
Nkrumah ou Sékou Touré) ou à des dictateurs au service de l’Occident
(comme Houphouët-Boigny ou Gnassingbé Eyadéma) orientent différemment
l’expression du rejet de systèmes qui, les uns comme les autres, n’ont
jamais mis la liberté d’expression, de création, d’association,
d’initiative, au centre du progrès social. Ayittey est intéressant à plusieurs égards. Il brise,
quelque part, un clivage artificiel. Ces derniers années, si vous
faites le constat de l’interventionnisme brutal de l’Occident en
Afrique et d’un pillage qui lui profite, les «afrosarcastiques» comme
Stephen Smith vous taxent de «négrologues» accusant l’Occident pour se
dédouaner et, d’une certaine manière, vous solidarisent des dictateurs
africains et de toutes les mauvaises habitudes qui ont cours sur le
continent. Le prisme valorisant le facteur «liberté
individuelle» permet de critiquer aussi bien le colonialisme et le
néocolonialisme et les réflexes liberticides des régimes africains. Par ailleurs, ce type de regard réconcilie
libéralisme économique et progressisme politique en Afrique. On peut
croire à la libre entreprise, aux économies ouvertes, et être considéré
comme un militant de la Renaissance Africaine - historiquement, le
panafricanisme, comme le panarabisme, sont plutôt influencés par
l’étatisme et l’archéo-socialisme. Nous devrions souvent lire et commenter ce
qu’écrivent nos frères de l’Afrique anglophone. Cela ouvrirait nos
esprits et élargirait nos regards. De fait, il y a peu de traduction
d’essais africains : du coup, Francophones et Anglophones réfléchissent
chacun de leur côté, sauf si des Occidentaux en décident autrement.
C’est dommage. Comment faire évoluer cette situation regrettable ?