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Le blog de Théophile Kouamouo
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16 juillet 2007

Double impasse

Vendredi dernier, un «séminaire stratégique» organisé par la Fondation nationale des sciences politiques de Côte d’Ivoire a eu lieu à l’Hôtel Novotel d’Abidjan, en présence de l’ambassadeur André Janier, de l’ancien Premier ministre Pascal Affi N’Guessan et du ministre de la Réconciliation, Sébastien Dano Djédjé. Le thème était potentiellement explosif : il s’agissait de réfléchir autour des relations franco-africaines - et forcément franco-ivoiriennes - après l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy. Les choses se sont finalement déroulées avec beaucoup de murmures, mais peu d’éclats de voix et de franches engueulades. Ce qui ne veut pas forcément dire que la querelle franco-ivoirienne s’est miraculeusement adoucie. Les rancoeurs sont présentes, de part et d’autre, et ne disparaîtront pas avant longtemps.

Si la partie officielle ivoirienne est venue au débat avec un souci formel de conciliation mais sans «nouveau» discours charpenté vis-à-vis de la France, la partie française a utilisé la tribune qui lui était offerte pour donner quelques signaux clairs à l’opinion ivoirienne - et régler au passage quelques comptes avec les sympathisants de la galaxie patriotique, dont un récent sondage montre qu’ils sont particulièrement remontés contre l’ancienne puissance coloniale.

Le message français, délivré par André Janier, porte indéniablement la marque sarkozyste. Premièrement, il n’est pas question que la France profite de la nouvelle donne au sommet pour faire acte de «repentance» par rapport aux exécutifs précédents et à la Françafrique - vocable brocardé par Janier. La France est prête à faire des ajustements techniques là où sa politique n’a pas été «comprise», mais elle ne se flagellera pas, malgré les nombreux cadavres africains qui continuent de se décomposer dans les placards honteux de la République. Deuxièmement, Paris prendra son temps pour se réconcilier avec Abidjan, et débarrassera la relation bilatérale de tout le sentimentalisme souvent violent qui l’a encombrée. La France ne veut plus être le «partenaire privilégié» de la Côte d’Ivoire, mais constate qu’elle reste le «premier partenaire» d’une nation dont les citoyens peuvent, du reste, l’insulter à loisir. Troisièmement, plus question de complaisance. Paris appuiera là où ça fait mal sans complexe. Ainsi, lors du séminaire de vendredi, les officiels hexagonaux ont pointé du doigt la baisse effarante du niveau d’éducation des Ivoiriens et du niveau des étudiants, la qualité dégradée des services de santé… ainsi que tous ces indices qui donnent de s’inquiéter légitimement pour l’avenir du pays des Eléphants, et qui renforcent la France dans la certitude que la Côte d’Ivoire aura encore, et pour longtemps, besoin d’elle.

En passant de l’époque Chirac à l’ère Sarkozy, Paris a cessé (momentanément ?) de douter. Elle a rechargé ses accus et se sent prête à donner le change, en haussant le menton et en assumant un néopatriotisme à l’américaine. Les patriotes ivoiriens se sont-ils gaussés de «la France qui tombe» en 2003 ? Les patriotes français narguent aujourd’hui une Côte d’Ivoire qui parle beaucoup mais agit peu, dont les actes (selon Sarkozy) contredisent parfois les discours et vice versa… Et si la terreur (idéologique) avait changé de camp ?

Nous sommes en face de ce qu’on pourrait appeler une double impasse. La France, aidée par les acteurs locaux qui veulent lui faire plaisir, aime à croire qu’il est pertinent de brosser un tableau selon lequel les années de gloire de la Côte d’Ivoire étaient celles de la coopération la plus étroite avec l’ex-métropole, et que son déclin est intrinsèquement lié au désengagement de Paris. Ce n’est pas vrai. En réalité, nous assistons en Côte d’Ivoire, depuis le début des années 80, au lent pourrissement du modèle de «coopération» post-indépendances - et de ses avatars que sont la culture du parti unique, l’étatisme castrateur, le faible «empowerment» des élites intermédiaires, la corruption franco-africaine se transformant en corruption tout court et en culture de l’impunité… Au nom de ses intérêts bien compris à long terme, la France doit se remettre profondément en cause. Ceci dit, elle a beau jeu de faire remarquer que l’Afrique n’est pas sa première priorité. Elle n’y rencontre, au final, qu’une impasse intellectuelle. Elle aurait de vrais soucis à se faire si les dirigeants de «ses» territoires accéléraient leur Histoire et créaient les conditions d’une «mondialisation heureuse» en s’attaquant à la question de l’Etat de droit, de la liberté d’initiative, de la sécurité collective, des vrais combats pour la souveraineté. Ce n’est pas encore le cas : la perte d’influence de Paris sera donc lente. Il est probable que la France se résolve à voir l’Afrique comme un investissement de fin de cycle, sur lequel elle portera un regard changeant selon les opportunités et les «coups» ponctuels.

Côté ivoirien, l’impasse est plus préoccupante - elle est centrale et non périphérique. Profondément déstabilisée, décotée, la Côte d’Ivoire se réveille d’un long conflit avec la gueule de bois. La crise a révélé ce que Jean-Louis Billon a appelé, dans son intervention de vendredi dernier, un «fort désir d’émancipation». Malheureusement, la révolution culturelle théorisée et proclamée par la mouvance patriotique est dans l’impasse. Toutes tendances confondues, les «enfants gâtés de l’houphouëtisme», nés dans les années 40 et 50, qui ont connu la colonisation, entretiennent un rapport névrotique avec l’ex-métropole. Qu’on l’aime à la folie, qu’on la déteste à la folie par intermittences… on vit visiblement dans son regard. La crise a créé un réflexe patriotique au sein du petit peuple, mais ce réflexe n’a pas été très fort au sein d’une élite qui, désormais convaincue de la précarité de ses positions, a cédé à la tentation des stratégies égoïstes et familiales, a regardé l’Etat se déliter sans trop se battre, et a réglé - tous bords confondus - des comptes de toutes façons soldés avec un mort : Houphouët-Boigny.

Et si l’on sortait du post-houphouétisme ?

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Commentaires
L
Salut,<br /> <br /> Esther G, je ne pense pas qu'on puisse bâtir un Etat avec uniquement des "Praticiens". Il faut à côté d'eux des Universitaires pour concevoir s'il le faut; et donc une conjugaison rationnelle de ces catégories de citoyens. Je reste convaincu qu'au discours descriptif, il faut "un spplément d'âme normatif".<br /> <br /> Pour revenir au sujet, reprenant certains éléments d'une conférence animée par le sociologue F Akindès de l'Université de Bouaké, je crois qu'il nous faut un peu plus de Rigueur!<br /> <br /> Théo, tu fais bien de les énumérer: le système éducatif, sanitaire, la voirie foutent le camp. C'est à se demander si nos maires n'ont pas pour unique programme l'organisation d'émission télévisée; le genre: " Tonnerre, gbiaaaaaaaaaa!!!"<br /> <br /> Un article que je prépare se propose de réfléchir sur la possiblilité de refonder la CI sans refonder l'ivoirien. Si l'Ivoirien n'est mu que par le sexe, l'alcool, la facilité, la tricherie, peut-il refonder son pays? Suffit-il de quelques réformes institutionnelles pour oser parler de Refondation?
E
Que nous n'ayons pas de discours est certainement exact. Cela ne doit pas signifier que nous ne puissions pas dvlper d'analyse lucide et rationnelle.<br /> <br /> Je ne sais pas si cela est volontaire mais voici un pays qui ne cherche pas à faire la Promotion de ses ressortissants qui ont qlq chose à proposer. Pour le dire plus simplement: tout porte à croire que ceux qui décident en CI ont décidé de ne pas faire la promotion des personnes intelligentes.<br /> <br /> Sinon, dans cette perspective de (re)définition des relations franco-ivoiriennes, cela m'étonnerait que certains "Praticiens" comme Essy Amara, Gauze Alain, Zady Kessey, Thiam, Dakoury JP, Aubert Zohoré...n'aient rien à proposer.<br /> <br /> Une des difficultés est que les Universitaires ont décidé de s'auto-promouvoir. Or, ces gens-là ne sont pas assez structurés pour bâtir un Etat au sens moderne du terme. De tout tps, ils n'ont été bons qu'à faire des critiques; rien de plus!<br /> <br /> Je crois que les deux mandats de Gbagbo seront consacrés à sécouer le cocotier pour recevoir pas mal de noix sur la tête. Après lui, nous espérons passer à autre chose!!!
C
j'avais oublié cette précision - la vitesse n'est pas toujours de bon conseil.
C
Bonsoir ThèO,<br /> <br /> Merci pour ce post. Autant j'avais ete plutot agreablement surpris par le sommet Europe-Afrique, autant je suis peu surpris par celui-ci: les relations francafriques sont ce qu'elles sont, et ce n'est pas de l'actuel locataire de l'Elysee qu'il faut attendre une quelconque "rupture". Je souscris donc au message de "hormheb".<br /> <br /> Il faudra sans doute du temps et la reconstruction du pays - qui ne doit pas etre uniquement celle des infrastructures, mais egalement celle des idees - pour esperer un changement en profondeur. Les pistes, et surtout les hommes, existent pour un tel chantier. Il est difficile de reconstruire quand le pays est encore la moitie de lui-meme et quand les armes peuvent parler a tout moment :-)<br /> <br /> Je suis donc optimiste sur la suite des operations, ne serait-ce que parce que l'avenir n'appartient pas aux Anciens dont tu parles. C'est donc a nous de proposer d'autres seminaires et d'autres strategies. Car avouons-le, quelle peut etre la part de strategie dans un seminaire qui regarde en arriere? Un peu d'experience dans le domaine me donne a penser que faire la strategie consiste a regarder loin en arriere et non les chiffres conjoncturels de l'alphabetisation d'un pays en guerre. Vraiment, Janier yako! A sa maniere, il ne manque pas d'humour... noir. J'aimerais bien qu'ils me donnent les statistiques de son pays au sortir de la seconde guerre mondiale :-)<br /> <br /> Je n'ai pas trop ecrit ces derniers jours car je suis pris par le montage des images pour le videoblog: des heures de rushs a visionner, selectionner et uploder! En plus, mon clavier norvegien est fache avec les accent aigus et autres subtilites du francais: sans doute un signe des temps a venir.<br /> <br /> PS: le sondage m'a bien fait rire. J'en prepare un autre de mon cru cette semaine sur le blog. Mais pour l'heure - qu'il s'agisse du sujet strategique du jour ou des revelations que je tiens sous le coude - je vais faire comme les enfants: un doigt sur les levres en forme de "O" et un seul son... sssshhhhhuuutttt!<br /> <br /> //cc
D
Cher Tous,<br /> <br /> Je vous prie de n'accorder aucun crédit aux propos de Monsieur JANIER. Il a beau jeu de dire que l'Afrique n'est pas la priorité de la France et que nous ne représentons que 2% dans les échanges mondiaux et beaucoup moins pour la France parce que ce n'est pas, justement, cette France-là qui donnera un jour les vrais chiffres de notre véritable valeur dans l'économie française.<br /> Comment voulez-vous que des chiffres objectifs existent quand, à l'Elysée, c'est une cellule (dite africaine, quasi ésotérique) qui gère les rapports entre la France et l'Afrique, et spécifiquement la Côte d'Ivoire?<br /> C'est cette cellule seule qui détient les vrais chiffres de ce commerce impudique entre nos Etats et l'Hexagone. Et ils n'ont JAMAIS été officiels.<br /> <br /> Et si tant est que nous ne représentons vraiment rien dans les budgets successifs de la France, je suis en droit de me demmander ce qu'elle fait alors, en Afrique, et particulièrement en Côte d'Ivoire, depuis de nombreuses décennies, avec des bases militaires et une force LICORNE de plus de 4000 soldats en Eburnie, qui coûtent à la France, au bas mot, 13 milliards de francs CFA par mois!<br /> Honnêtement, de qui se moque t-on? Prenez-nous un peu au sérieux, Cher Monsieur JANIER, nous n'avons pas l'air si idiots que vous pouvez le penser!<br /> De toutes les façons, la vérité se saura un jour.<br /> <br /> C'était mon coup de gueule de ce début de semaine.<br /> <br /> Fraternellement,<br /> <br /> DINDE Fernand<br /> dindefernand@yahoo.fr
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