D’Abidjan à Niamey
La semaine dernière, Le Courrier d’Abidjan publiait une enquête – rédigée par l’auteur de ces lignes – sur la crise de l’uranium et la rébellion du MNJ au Niger, soupçonnée par le gouvernement de Mamadou Tandja de liens avec la Libye et la France. Aujourd’hui, nous publions une interview de Mahamadou Issoufou, principal opposant nigérien, qui évoque entre autres choses la crise qui a secoué la Côte d’Ivoire et celle que vit son pays. Nous avons choisi de commenter ici certains de ses propos qui suscitent en nous quelques réflexions – ou renforcent quelques certitudes.
Evoquant la crise ivoirienne, Mahamadou Issoufou, membre de l’Internationale socialiste, avoue que de nombreux partis et leaders d’opinion traditionnellement liés au parti dont est issu le président Laurent Gbagbo ont été mal informés sur ce qui se jouait à Abidjan. «…la crise a duré et effectivement je comprends que les camarades ivoiriens du FPI aient eu l’impression que le comité Afrique n’a pas apporté un soutien à la hauteur des enjeux ; parce que la situation était quand même très grave. Cela est certainement dû au fait que les différentes parties de l’Internationale socialiste n’ont pas toujours compris la gravité de la situation ivoirienne et n’ont peut-être pas aussi toujours disposé des informations nécessaires qui puissent leur permettre d’analyser correctement la situation dans laquelle se trouve la Côte d’Ivoire», dit très clairement le président du PNDS.
Ce faisant, il revient sur un des plus gros scandales de l’Afrique contemporaine. Alors que nous sommes entrés de plain-pied dans l’ère de l’information, le continent n’arrive toujours à se parler à lui-même et à parler aux autres. Nous sommes en 2007, et nous entendons toujours parler du voisin après qu’il soit passé à la « moulinette » de RFI ou de la BBC. Aujourd’hui, il n’y a quasiment pas de titre de presse francophone à audience internationale où des Africains – vivant notamment en Afrique – parlent à une large audience d’Africains. Il suffit de lire l’ours de l’hebdomadaire parisien qui est supposé faire ce travail pour se rendre compte qu’aujourd’hui, il héberge si peu de plumes africaines qu’on s’interroge sur son récent retour à son appellation d’origine, après quelques escapades «intelligentes».
Il faut se rendre à l’évidence : les élites et les peuples africains se comprennent peu parce qu’ils ne se parlent pas. Aujourd’hui, il y a pourtant énormément de facteurs conjugués qui pourraient faciliter la création et l’implantation de titres de presse, de radios et de télévisions transnationales en Afrique. Il est de la responsabilité des forces politiques et économiques de progrès à prendre leur part dans la «guerre cognitive» (selon l’expression de mon ami Calixte Tayoro) qui se déroule actuellement sur un continent redevenu éminemment stratégique.
Mais il ne faudrait pas ne voir l’information que par la petite lorgnette journalistique. L’information est également stratégique, et nécessite à cet égard les analyses d’experts africains décryptant les grands enjeux de manière anticipatrice, fournissant le matériau de base à ceux qui veulent comprendre des questions complexes, nourrissant la réflexion des dirigeants et interrogeant leurs choix. Il est tout de même frappant que dès lors qu’on parle des grandes questions économiques en Afrique, l’ésotérisme le plus cachottier devienne la règle.
Le Niger a des conflits d’intérêt avec la France, liés au prix auquel Areva achète l’uranium extrait dans le pays considéré comme le plus pauvre du monde, au regard de l’Indice de développement humain. L’on apprend que jusqu’ici, Areva achetait le kilogramme d’uranium à un prix plus de quatre fois inférieur au cours mondial actuel (41 euros contre 180 euros), et qu’après des accords mystérieux entre la direction de la compagnie française et Aïchatou Mindanaou, chef de la diplomatie nigérienne, le prix a été renégocié et est désormais de 60 euros le kilo, soit le tiers du cours mondial – dans un contexte où la rébellion touarègue fragilise l’Etat nigérien. L’on apprend que le Niger est actionnaire des filiales d’Areva qui extraient l’uranium sur place, mais qu’il est totalement absent, depuis l’indépendance, de la commercialisation de l’uranium (il vient d’acquérir le droit de vendre une – faible –partie de sa production sur le marché mondial). Schématiquement, les filiales d’Areva (où l’Etat du Niger est actionnaire) vendent à Areva France qui revend sur le marché mondial avec une plus-value mirifique. On croit entendre de nouveau parler du système mis en place par Elf, où Elf-Gabon et Elf-Congo vendaient, à pris dérisoire, à Elf-Trading, qui faisait des bénéfices monstres ! L’on comprend quels jeux d’écriture permettent à certains d’affirmer que l’Afrique ne représente que 2% du commerce mondial. Où sont les experts africains ? Qu’ils sortent du bois et qu’ils participent au débat sur ce qui apparaît comme des accords inégaux acceptés benoîtement pendant trop longtemps ! Qu’ils confondent ceux qui ne pourront pas garder leurs monopoles économiques dès que leur monopole explicatif sera mis en crise de manière scientifique…
Mahamadou Issoufou, opposant nigérien, est-il idiot ou tout simplement patriote ? Face à la rébellion armée qui secoue le Niger, il tient un discours condamnant la prise des armes, et se référant très clairement aux mécanismes constitutionnels réglant les différends à l’intérieur de son pays. «Mon point de vue par rapport à cette situation c’est que le Niger vit sous un régime démocratique, républicain et que par conséquent nous avons des mécanismes dans notre Constitution et dans nos lois qui permettent de surmonter tous les différends entre Nigériens (…) surtout que le 31 mai dernier l’opposition que j’ai l’honneur de diriger a déposé une motion de censure à l’Assemblée nationale contre le gouvernement et cette motion de censure a été adoptée à la majorité des députés. Il y a eu 35 députés de la majorité qui ont joint leur voix aux 52 députés de l’opposition pour voter cette motion de censure et ainsi renverser le gouvernement ; un nouveau gouvernement a été mis en place et cela constitue à nos yeux la preuve que les mécanismes qui sont contenus dans notre Constitution pour sortir des blocages, pour régler les conflits, pour surmonter des crises fonctionnent, et les Nigériens peuvent y avoir recours», nous a dit Issoufou. Si les opposants ivoiriens avaient adopté ce type de position de principe après le 19 septembre 2002, la crise que nous vivons n’aurait pas duré cinq ans… De plus, ils auraient conservé leur crédit intact au sein de la population et regarderaient les élections à venir avec moins de fébrilité… à l’image d’un Mahamadou Issoufou, qui entrevoit l’échéance de 2009 en toute sérénité !