Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le blog de Théophile Kouamouo
Le blog de Théophile Kouamouo
Derniers commentaires
Archives
20 août 2007

La nouvelle idéologie négrière

Ancien monsieur Afrique du Parti socialiste français et vieux militant connaissant à la fois la faune politique française, les têtes couronnées et les fortes têtes d’Afrique francophone, Guy Labertit est désormais en retrait de l’appareil institutionnel du principal parti d’opposition hexagonal. En profite-t-il pour se donner une plus grande marge de liberté de parole ? En tout cas, il a publié dans Le Monde daté du samedi 18 août 2007, un article d’opinion intitulé «A qui profite l’uranium du Niger ?». Pour les lecteurs du «vénérable quotidien du soir», il revient sur le conflit d’intérêts entre l’Etat du Niger et la firme française publique Areva, accusée de soutenir la rébellion qui sévit dans le Nord du pays. Il met surtout en lumière les accords inégaux qui permettent à Areva d’acheter la matière première principale de l’industrie nucléaire hier au quart du cours mondial, aujourd’hui au tiers. «

Selon les critères de l'indice de développement humain, retenus par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), le Niger occupe la dernière position dans le classement de l'ensemble des pays du monde. Cette place est largement due au très fort taux d'analphabétisme (89 %), plus sensible encore chez les femmes. Pourtant, l'uranium du Niger est enlevé par les groupes miniers, dont le français Areva en premier lieu, au tiers du cours mondial, et l'énergie nucléaire est la parade choisie par les puissances industrielles pour limiter le réchauffement de la planète et préserver l'équilibre des écosystèmes. Sauvegarder la planète en maintenant dans la misère la majorité de la population qui vit dans ses espaces recélant l'indispensable source d'énergie ? Cette extravagante conduite politique du monde alimente à peine la mauvaise conscience des instances internationales. A l'ONU et dans d'autres enceintes, il est de bon ton de ressasser, non sans condescendance, l'impérieuse nécessité d'accroître l'aide publique au développement quand la théorie du pillage des matières premières n'est pas aussi morte qu'on le croit - à l'image de ce qui se passe au Niger», écrit-il.

anne_lauvergeonLes réactions d’un certain nombre d’abonnés du Monde – qui seuls ont le droit de commenter en ligne les articles publiés dans les éditions papier et électronique –sont frappantes et donnent une idée de ce que l’on pourrait appeler une nouvelle idéologie négrière. Refusant à grands cris la «repentance» à l’égard des crimes coloniaux du passé, l’école de pensée productrice de cette nouvelle idéologie se fonde sur une amnésie historique «décomplexée» et sur une vision du monde où la loi du plus fort doit être la meilleure dès lors que le plus fort n’est pas… les Etats-Unis !

Comment arrive-t-on à ne pas se scandaliser qu’un des pays les plus riches du monde extorque son uranium au pays le plus pauvre du monde à un prix dérisoire ? Bruno D., lecteur du Monde estime que dès lors que le Niger est un pays africain, donc dictatorial et mal géré, le pillage de son uranium est acceptable.

«Trois questions: 1) Quand bien même Areva (entreprise publique à 94%, dont le principal client est une entreprise publique à 84%) payerait son uranium au prix fort, les sous iraient-ils au développement ou bien dans la poche de quelques dirigents nigériens ? Si la réponse est non, à quoi bon s'offusquer ? 2) Sur quoi a-t-on le plus de contrôle : la destination des aides ou celle des montants des concessions minières? 3) Où y a-t-il le moins d'intermédiaires qui se servent ?»

Selon Bruno D., puisque le gouvernement nigérien est corrompu, autant mieux le voler – sans pour autant que ce vol soit un disqualifiant moral – et redistribuer au peuple nigérien selon des priorités décidées par les technocrates gérant une « aide » au développement dont le fondement idéologique emprunte à la geste d’Arsène Lupin, gentleman cambrioleur qui dépouille les riches pour donner aux pauvres. «Si le prix payé était celui de marché spot, pensez vous que le développement du Niger en serait amélioré ? Non bien sûr puisque ces recettes retournent immédiatement dans les banques occidentales», écrit, dans la même veine, un certain yfournier. Où l’on comprend tout l’investissement intellectuel mobilisé pour maintenir, dans l’esprit du citoyen occidental, l’image invariable du tyran africain assoiffé de sang et prompt à déposer ses biens mal acquis dans des comptes en Suisse. Qu’est-ce qui justifierait donc les spoliations dont les pays africains sont victimes s’ils étaient dirigés par des chefs «normaux», ni pires ni meilleurs que leurs homologues des pays riches, où la corruption de l’élite politique est, elle aussi, assez préoccupante ? En réalité, dictateurs africains et néo négriers occidentaux sont des alliés objectifs. C’est pour cette raison qu’il n’y a aucune contradiction dans la pose de Nicolas Sarkozy, qui complexe la jeunesse africaine à Dakar, l’accusant de ne pas assez se dresser contre la corruption, pour ensuite encenser le «doyen» Omar Bongo au Gabon, caricature du type de dirigeants contre lesquels il serait urgent de se lever.

La nouvelle idéologie négrière a pour caractéristique de brandir, à tout propos et hors de propos, la «part de responsabilité» des Africains dans leur propre malheur. Le procédé est efficace pour deux raisons. Premièrement, de nombreux dirigeants africains ont montré au monde entier leur irresponsabilité chronique. Il n’est pas possible de ne pas en tenir compte. Deuxièmement, l’esprit humain est binaire. Pour discréditer une approche, il faut mettre en valeur l’évidence d’une approche visiblement opposée – même si les deux sont tout à fait complémentaires et permettent de comprendre la réalité. DavidX, lecteur du Monde, réagit ainsi à l’article de Guy Labertit : «Cette intervention pleine de bons sentiments fait l'impasse sur la responsabilité même des Nigériens et de leurs dirigeants dans la situation actuelle. Si le pays est dans une situation dramatique du point de vue économique, social, humain, il le doit avant tout à la façon dont il a géré ses affaires. Il est responsable de sa situation de faiblesse dont profite, sans beaucoup d'états d'âme, Areva. Nier la responsabilité première des Africains, c'est faire preuve de néo-colonialisme». DavidX ne prouve rien, mais présente une fausse évidence : qu’est-ce qui lui permet donc d’imposer, comme première cause de la pauvreté du Niger, des causes endogènes ? Connaît-il l’histoire de ce pays et surtout des rapports de force dans ce pays ? Jérôme F, quant à lui, évoque le monopole historique d’Areva comme une banale question de gouvernance. «Je ne vois pas pourquoi l'auteur met en cause l'ONU dans ce article. Il semble que le rapport de forces clairement défavorable au Niger provienne d'un monopole d'Areva. Dans ce cas donner des licences d'exploitation à d'autres entreprises est la bonne piste d'amélioration. Malheureusement tant que les mines des concurrents ne sont pas ouvertes Areva est toujours en monopole. Ici le problème semble venir d'une mauvaise gestion passée, et il faut du temps pour la remettre en cause.» Jérôme F sait-il que ce monopole date d’avril 1961, soit moins d’un an après des indépendances négociées par des dirigeants choisis par l’ancien colonisateur lui-même ? Sait-il que le premier président nigérien, Amani Diori, a été renversé par ses anciens maîtres parce qu’il voulait remettre en cause le «deal» uranifère franco-nigérien ?

Certains abonnés du Monde, en commentant l’article de Guy Labertit font carrément preuve de cynisme. Stefool_2, se fondant sur la supériorité technologique de la France et jetant aux orties des notions aussi élémentaires que la propriété et la souveraineté des Etats, affirme : «Des tonnes d'uranium sous la terre n'ont aucune valeur.» Puisque le Niger ne maîtrise pas les technologies d’extraction de l’uranium, il doit se contenter de ce qu’on lui donne. Lokantl, quant à lui, évoque le spectre de l’appauvrissement de la France, qui serait inéluctable si l’ordre mondial devenait plus juste : «C'est un peu facile de réduire ce problème à de méchantes entreprises. Areva = encore entreprise publique, donc l'Etat est complice. Or, l'Etat c'est le peuple dans nos démocraties. Donc nous bénéficions tous, au moins indirectement, des arrangements d'Areva. On peut en revanche rester vigilant, dénoncer les excès, et ne pas reconduire ceux qui pratiquent cette politique. Mais sommes nous prêt à remettre en cause fondamentalement nos modes de vie, conséquences obligées d'un monde plus égalitaire ?» Et si c’était cette peur diffuse du déclassement d’un vieil Empire colonial qui expliquait le succès de la nouvelle idéologie négrière ?

Il ne faut pas désespérer. En France, certains esprits gardent le sens de la justice. Leur esprit peut encore se permettre de saines colères. DH écrit : «Article utile, réactions d'un cynisme troublant! Les mêmes sans doute soutiennent l'expulsion d'immigrés venus des pays spoliés par ces grands groupes. Le riche n'envisage jamais de remettre en cause son mode de vie fondé souvent sur la spoliation de l'autre. En quelque sorte la France, si fière de ses centrales nucléaires, obtient du plus pauvre au monde, africain, de "l'aide"pour financer ses efforts de réduction des gaz à effet de serre !». Lave Plus Blanc met les pieds dans le plat : «Agréablement surpris de trouver un article d'une telle qualité dans Le Monde, je conçois que ses "lecteurs", toujours aussi ignorants des réalités de la bourse aux matières premières dont les prix sont fixés à Londres (et non à Niamey), parlent de "la responsabilité première des Africains". A leurs yeux embrouillés, la France, qui tira sa puissance de son empire colonial, doit le rester, et continuer de traiter en "esclaves" ses fournisseurs d'énergie. Négriers, et fiers de l'être.»

PS : Sur la photo d'illustration, Anne Lauvergeon, présidente d'Areva.

Publicité
Commentaires
T
D'accord comme d'hab. Mais écris moi sur mon mail (tkouamouo@gmail.com) pour qu'on en parle en profondeur.
G
Si monsieur continue de permettre, celui-ci, "La nouvelle idéologie négrière", pour commencer, je vais le mettre de ce pas en ligne sur le site du Gri-Gri.<br /> <br /> Au fait, pensez-vous cher ami que nous pourrions procéder à un échange de lien entre nos sites/blogs ?<br /> <br /> Bon courage !<br /> A+<br /> <br /> GP
Q
J'ai appris ce matin sur rfi que le Niger va fournir 300 tonnes d'uranium à une société américaine sur une période de deux ans. Les recettes que le Niger va tirer de cette opération est de 24 milliards de francs CFA soit un peu plus de 36 millions et demi d'euros. Les calculs font ressortir un prix au kilo d'uranium de 121,96 euros!!!! Alors que tout récemment Areva dit avoir fait des efforts énormes pour le Niger en lui prenant son uranium à 40 000 frans CFA (soit 60,98 euros) le kilo. Ainsi depuis presque 40 ans la France s'est mise à sucer la sueur et le sang d'un pays dit ami et frère. Alors qu'elle France est la 6ème puissance mondiale, le Niger qu'elle exploite est l'un des pays les plus pauvres au monde.<br /> Pour moi tout ceci est une bonne leçon pour certains dirigeants africains qui développent un sentiment d'infériorité et un complexe incroyable quand ils se retrouvent en face du blanc. Nombre d'entre eux n'ont aucune couille à défendre leur propre opinion quand ils se retrouvent devant un blanc. Dites-moi: quel type d'équipement et expertise Areva utilise pour extraire l'uranium du Niger que ce dit Niger ne peut acquérir pour exploiter son propre uranium? Oui j'aimerais bien savoir surtout que l'uranium ce n'est pas le cacao ou le café. Le Niger peut avoir ou se faire financer pour acquérir le matériel. Quand à l'expertise, depuis 50 ans le Niger pouvait former des nigériens dans le domaine de l'uranium. Et si pour une raison ou une autre aucun nigérien ne peut être formé, pourquoi le Niger ne se tournerait pas vers l'expertise étrangère mais pa française? <br /> Pendant 50 ans les dirigeants se sont succédés à la tête du NIger sans rien apporter à son peuple. Trouillards qu'ils ont tous été, ils ont vendu leur pays à vil prix. Il faut les voir à se précipiter à acceuillir de simples pauvres ministres français de passage. Il faut "raser" toute cette race de dirigeants qui font honte à l'Afrique.
A
Les polémiques créees par Sarkozy de façon récurrente ou encore ce qu'il est convenu d'appeler ses "coups d'éclats permanents" sont une façon subtile de tout le temps noyer le poisson pour éviter d'aller en profondeur des vraies questions.<br /> Quand il soulève un débat sur la repentance,c'est pour mieux focaliser les feux de l'actualité sur autre chose que le présent qui,lui, est véritablement brûlant! La repentance, en effet, ne peut concerner que ce qui est passé.Or ,même si le passé nous est cher, la priorité de tous les africains,c'est d'abord leur quotidien;donc leur présent.A ce niveau, il apparaît manifestement que le présent est fait d'agressions en tous genres perpétrées par la France.Agressions politico-militaires ;exemple la Côte d'Ivoire et depuis quelque temps le Mali et le Niger avec la résurgence quasi-inattendue de rébellions que l'on croyait jugulées (de toute évidence Paris fait un chantage souterrain par rébellions interposées pour des raisons que l'on devine ).Agression économique permanente avec le lien diabolique du franc CFA qui est l'escroquerie la plus subtile et la plus diaboliquement géniale de notre ère et par laquelle Paris anémie tous les pays Africains francophones des fruits de leurs labeurs sur la terre de leurs ancêtres.On pourrait citer à profusion de nombreux exemples mais limitons nous à ceux-ci. Pour toutes ces rapines et ces agissements lucifériens les africains sont,sur leur propre terre, confrontés à des problèmes de survie.<br /> Voilà les vraies questions, les vrais débats ,les vrais poissons que Sarkozy essaie brillament et machiavéliquement de noyer par ses"coups d'éclats permanents." Appuyé par une machine de communication effisciente,il suscite des débats parallèles pour noyer les vrais débats.<br /> Il appartient aux africains d'être vigilents pour déjouer ces ruses intellectuelles en ne se laissant pas emporter par les feintes de Sarkozy mais plutôt en prenant constamment l'initiative de ramener sur la scène de l'opinion les vraies questions qui dérangent Paris mais que nous devons absument discuter parce que notre avenir en dépend.Gardons à l'esprit que nous sommes dans une guerre d'intelligence.
O
Non, évidemment que les RI telles qu'elles sont depuis des siècles sont amorales (ou immorales) : je ne l'ai pas du tout nié.<br /> <br /> En revanche, je dis qu'il est au principe même de la politique que d'énonce une idée de bien et de mal, collectivement admise/conçue par les citoyens ; en fonction de laquelle ceux-ci peuvent déterminer leurs rapports aux autres. <br /> <br /> La politique est fondamentalement morale ; aussi n'est-ce pas parce que ses modalités de l'heure (une conjoncture tout de même séculaire) foule aux pieds toute morale qu'il est impossible d'en réhabiliter à jamais les fondements : ces choses sans dessus dessous PEUVENT être remises à l'endroit. <br /> <br /> En avoir conscience est indispensable pour s'en donner les moyens pratiques ; tandis que se convaincre du contraire, c'est renoncer à essayer tant soit peu. Or, il est de l'intérêt même de nous autres qui pâtissons de ce Désordre International de contribuer à son dépassement vers des conditions d'un équilibre planétaire.<br /> <br /> Et, mine de rien, nous avons suffisamment d'atouts pour ce faire : seule une petite minorité a intérêt au statu quo. Or, l'hégémonie séculaire de cette minorité est de plus en plus contestée. Or, sans esclaves/exploités, il ne peut y avoir de maîtres/exploiteurs. Or, avec une population vieillissante, les maîtres d'hier ne pourront pas indéfiniment assujetir des milliards de pauvres propriétaires de Droit des principales ressources de la Planète...
Le blog de Théophile Kouamouo
  • Vous rêvez comme moi d'une Afrique digne, d'une Afrique des Africains plus solide face à la violence des impérialismes ? Vous militez pour un continent démocratique et indépendant ? Moi aussi. Marchons d'un même pas.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Publicité